Découvrir le trésor de Sainte Anne

11 février 2019

Des pièces exceptionnelles, voire uniques se trouvent dans la Cathédrale et constituent le trésor de la ville d’Apt.

Apt est une petite cité épiscopale remarquable par la multiplicité des saintetés qui y sont attachées. Le développement du culte de sainte Anne, aïeule du Christ, et des autres saints (particulièrement Auspice, Castor, Martian, Elzéar et Delphine) intimement liés à la cité va contribuer à placer la ville sur le devant de la scène.

Autour des reliques des saints, s’organise le trésor qui réunit des objets qui s’imposent par leur valeur dévotionnelle, leur richesse et leur intérêt esthétique. 

LA CONSTITUTION DU TRÉSOR

Au sein du trésor, on distingue tout d’abord les pièces les plus précieuses que sont les reliquaires de saints. Beaucoup d’objets sont des dons de laïcs, de chanoines ou d’évêques. Ces derniers se distinguent en particulier par la confection de reliquaires. La période des croisades marque un temps fort dans la composition des trésors. À Apt, cela est illustré de façon remarquable par le voile de sainte Anne, tissu fatimide, fabriqué à Damiette à la fin du XIe siècle. 

Les dévotions à sainte Anne qui se développent au XVe siècle entraînent des dons de pièces profanes à la cathédrale, tels des coffrets de mariage en bois stuqué et polychromé ou des coffrets en ivoire. Certes, ce trésor eut à souffrir de la période révolutionnaire mais plusieurs pièces furent épargnées car, malgré leur rareté et leur intérêt esthétique, elles n’étaient pas réalisées en métal précieux. Indirectement, les événements de la période révolutionnaire ont aussi enrichi le trésor à travers des pièces antérieurement conservées dans les couvents.

À Apt, c’est en particulier les objets liés à Elzéar et Delphine, qui se sont trouvés déposés à la cathédrale. Au trésor traditionnel, sont venus s’adjoindre au XIXe siècle et plus encore au XXe siècle des pièces liées aux célébrations liturgiques. En particulier depuis Vatican II, on a vu disparaître les pompes qui entouraient les offices. Ainsi les passementeries, chasubles, étoles ou les éléments d’orfèvreries, tels les ciboires, sont passés, pour les plus remarquables, de la sacristie à la salle du trésor.

LE VOILE DE SAINTE ANNE

Le voile de sainte Anne constitue la pièce maîtresse du trésor de la basilique Sainte-Anne. Il s’agit d’une œuvre tissée en 1096-1097 à Damiette en Égypte. Si on ignore tout des circonstances dans lesquelles il est arrivé à Apt, il est vénéré comme relique de contact depuis plusieurs siècles.

Il est l’un des rares exemplaires au monde de tissu fatimide conservé dans son intégralité.

Sa conservation à Apt

Étudié par les érudits et les savants depuis le milieu du XVIIe siècle, le voile est conservé jusqu’au début du XXe siècle dans une gourde vénitienne en verre scellée. Il est ensuite remplacé par une copie peinte sur toile et placé dans le coffrefort de la sacristie pour des raisons de conservation.

Le voile est classé Monument Historique en 1907. Il est restauré une première fois en 1933 dans les ateliers de la Manufacture nationale des Gobelins à Paris.

À son retour, il est conservé dans la sacristie, avant de rejoindre la salle du trésor, nouvellement aménagée en 1952. À l’occasion de son prêt, pour l’exposition Trésors fatimides du Caire proposée en 1998 par l’Institut du Monde Arabe, le voile fait l’objet d’une nouvelle restauration par Béatrice Girault-Kurtzemann à Orange en 1997. À l’issue de sa restauration et de son exposition, le voile réintègre le trésor dans une vitrine à atmosphère contrôlé réalisée sur mesure.

Description

Le voile est constitué d’une toile de lin très fine de 3,10 m de long sur 1,51 m de large, sur laquelle est appliqué un décor de tapisserie de fil d’or, de soie verte, bleue, rouge et noire et de lin blanc.

Aux deux extrémités du voile, le décor est composé d’une large bande comportant une frise de médaillons, alternativement circulaires, ornés d’un quadrupède, et polygonaux à six pointes enserrant deux oiseaux adossés queues entrecroisées.

Cette frise est bordée d’une inscription bleue sur fond or. C’est dans cette inscription, pourtant très détériorée, qu’en 1933, Georges Wiet a identifié la mention du lieu et de la date de fabrication de la pièce : tiràz particulier de Damiette, 490 de l’Hégire (soit 1097). Cette bande est entourée de chaque côté par une bande plus étroite de tapisserie comportant une frise de polygones à six pointes ornés d’un oiseau alternant avec un losange enserrant deux palmettes adossées. Au centre du voile, une bande de tapisserie à fond or et motifs d’anneaux entrelacés reçoit trois médaillons circulaires. Le médaillon du haut, le plus large (21,5 cm de diamètre), est très endommagé mais il subsiste les restes de deux personnages couronnés face à face, réunis par un motif en accolade, sous lequel prennent place une chimère à corps de lion et tête féminine et des volutes. Autour du médaillon, une inscription en caractères coufiques rouges sur fond or donne «  l’imam Abu-l-Qasim al Musta’li billah, émir des croyants, que les bénédictions de Dieu soient sur lui, sur ses ancêtres purs et ses très honorables descendants  ».

Les deux autres médaillons sont à peu près identiques. Sur le médaillon central, mieux conservé, on identifie deux chimères adossées retournées, de part et d’autre d’une sorte d’arbre de vie formé par les queues et les ailes entrelacées. Ce médaillon porte l’inscription rouge sur fond or «  … ses très honorables descendants. Le seigneur très illustre al-Afdâl, le glaive de l’imam, l’illustration de l’islam  », référence au premier ministre du calife Musta’li. Le médaillon inférieur comporte la même inscription avec un titre supplémentaire pour al-Afdâl : «  noblesse des humains  ».

Histoire et interprétation

L’arrivée du voile à Apt demeure mystérieuse. Pour autant, il est probable qu’il ait été ramené comme cadeau diplomatique ou prise de guerre lors de la première croisade. Plusieurs seigneurs provençaux, dont Raimbaud de Simiane, seigneur d’Apt, Guillaume de Sabran, seigneur d’Ansouis, et même l’évêque d’Apt, y ont participé.

Le voile est aujourd’hui interprété comme une pièce destinée à la confection d’une «  abd  », c’est-à-dire un manteau ample toujours porté aujourd’hui au Proche et Moyen-Orient. Pourtant, il n’a jamais été cousu pour réaliser le manteau et est resté tel qu’il est sorti du métier. Ses inscriptions indiquent qu’il a été tissé pour le calife fatimide al-Musta’Iî sous le vizirat d’al-Afdâl en 1096 ou 1097 dans le tiràz privé de Damiette. Le catalogue Trésors fatimides du Caire, souligne combien le voile de sainte Anne est un bel exemple des productions de Damiette, célèbre pour la fabrication du qasab ou muqassab, étoffe de luxe en lin très fin, décorée de soie et de fil d’or.

DES VERRERIES

Le trésor conserve deux bouteilles en verre blanc de Murano émaillé, appelées «  gourdes vénitiennes  » en raison de leur forme. Elles sont représentatives de la verrerie vénitienne du XVIe siècle.

C’est dans l’une de ces deux gourdes qu’était enfermé le voile de sainte Anne jusqu’au début du XXe siècle. Cette gourde est classée Monument Historique en 1898. Une autre verrerie est également présente dans le trésor. Vraisemblablement fabriquée en Égypte au milieu du XIVe siècle, ce vase est classé Monument Historique en 1898.

Il est attesté dans la cathédrale depuis le début du XVIIe siècle et renfermait autrefois des reliques minimes de sainte Anne, ainsi que quelques pièces de monnaie. Cette verrerie en verre blanc soufflé et décor végétal sur fond bleu émaillé est caractéristique des verreries mameloukes.

DES CHASSES RELIQUAIRES EN EMAUX DE LIMOGES

Le trésor en conserve deux. La première est dite «  châsse de saint Pierre  ». Elle se présente sous la forme d’un coffret quadrangulaire en bois, couronné par un toit à double pente et recouvert de plaques de cuivre émaillé en champlevé et doré avec fonds vermiculés. Les deux grandes faces de la châsse offrent chacune une décoration très différente.

La face principale présente saint Pierre au centre, entouré de deux apôtres et surmonté du Christ nimbé, également entouré de deux apôtres. La face opposée est décorée de motif de rinceaux fleuris, répartis dans deux registres superposés. Cette châsse témoigne de la maîtrise et des influences des émailleurs de Limoges dans le dernier quart du XIIe siècle.

Elle a été présentée dans plusieurs expositions au XXe siècle et est classée Monument Historique depuis 1898. La seconde est plus tardive. Elle est datée du milieu du XIIIe siècle et est classée Monument Historique depuis 1902. Elle se présente également sous la forme d’un coffret quadrangulaire en bois, couronné par un toit à double pente et est recouverte de plaques de cuivre dorées et émaillées. Les décors des deux faces principales sont très différents. La face principale présente des statuettes identiques, sans bras ni jambe, en relief de 6 cm de haut tandis que le revers se compose d’un décor de rosaces émaillées blanches et rouges.

COFFRETS EN BOIS ET EN IVOIRE

Le trésor expose trois coffrets qui étaient vraisemblablement d’abord offerts en cadeaux de mariage ou destinés à des usages profanes, avant de devenir des legs pieux. Deux de ces coffrets sont en bois stuqué polychrome et doré. Ils sont de facture italienne de la 2e moitié du XIVe ou du début XVe siècle. Ils sont classés Monuments Historiques depuis 1902.

L’un présente des scènes d’amour courtois, ainsi que des oiseaux dans un décor végétal. L’autre est orné d’animaux réels et fabuleux dans un décor végétal. Le troisième coffret est en ivoire peint Italie de facture arabe. Il a très probablement été fabriqué en Sicile au XIIIe siècle. Il est classé Monument Historique en 1907. Il est décoré de médaillons à motifs d’entrelacs, d’antilopes et d’oiseaux, eux-mêmes encadrés par des palmettes, fleurons et oiseaux.

OBJETS LIES AU CULTE DE SAINT ELZEAR ET DELPHINE

Le trésor conserve trois objets provenant de l’ancienne église des Cordeliers à Apt, lieu de sépulture des époux Elzéar et Delphine. Les deux premiers sont des fragments du tombeau de saint Elzéar de Sabran. Ce tombeau, édifié entre 1371 et 1373, a disparu à la Révolution mais plusieurs fragments sont aujourd’hui conservés dans des institutions publiques françaises ou américaines.

Les deux statuettes sont en albâtre et relatent des miracles de saint Elzéar. Elles sont classées Monuments Historiques depuis 1907. La première représente la résurrection de Bertrand Flotte, mort de fièvre à Digne en 1326 et la seconde, le sauvetage d’un enfant tombé dans le Rhône en 1323, lors du passage du cercueil du saint à Avignon.

Le troisième objet est une statuette d’Enfant-Jésus en bois polychrome et doré du XIVe siècle. Elle est classée Monument Historique depuis 1907. Elle proviendrait de l’oratoire personnel du roi Robert de Naples qui, sur le conseil de la reine Sanche, son épouse, l’aurait offerte à Elzéar de Sabran et son épouse. Cette statuette aurait fait l’objet d’une dévotion particulière de la part des deux époux qui l’emmaillotaient trois fois par jour et la prenaient dans leur bras comme s’il était leur enfant. Elle est devenue un objet d’une dévotion populaire dès le milieu du XVIIsiècle, spécialement de la part des femmes stériles ou des mères qui réclamaient la guérison de leurs enfants.

Placée ensuite dans un petit berceau, la statuette a donné naissance à une tradition populaire : les couples ayant des difficultés à avoir un enfant venaient remuer le berceau de l’Enfant-Jésus, qui au fil du temps est devenu «  le berceau de sainte Anne  ». En provençal, on disait «  bouléga lou brès de Santa Anna d’at  ». Enfin, un dernier objet est lié à la Bienheureuse Delphine. Il s’agit d’un tableau XVe siècle, classé Monument Historique en 1907, représentant les funérailles de Delphine en 1360.

ORNEMENTS LITURGIQUES ET AUTRE MOBILIER

Le trésor présente plusieurs chasubles, chapes ou voiles de calices, dont certains sont réputés avoir été offerts par la reine Anne d’Autriche, mère de Louis XIV, en 1660 lors de son pèlerinage à Apt.

Plusieurs objets liés au culte sont également présentés, tels que des chapelets de la fin du XVIe siècle et du XVIIIe siècle, une boîte à hostie du XVIIIe siècle en marqueterie de paille, des vases aux saintes huiles en argent de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles, des bannières de procession du XIXe siècle etc.